750 grammes
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Plume-pudding

Gastronomie

24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 13:48
Balzac, Les petits-bourgeois

En ce moment, Mlle Thuillier parut suivie de ses deux domestiques, elle avait la clef de la cave passée dans sa ceinture, et trois bouteilles de vin de Champagne, trois bouteilles de vin de l'Hermitage, une bouteille de vin de Malaga, furent placées sur la table ; mais elle portait avec une attention presque respectueuse une petite bouteille, semblable à une fée Carabosse qu'elle mit devant elle.
Au milieu de l'hilarité causée par cette abondance de choses exquises, fruit de la reconnaissance, et que la pauvre fille, dans son délire, versait avec une profusion qui faisait le procès à son hospitalité de chaque quinzaine, il arrivait de nombreux plats de dessert, des quatre-mendiants en monceaux, des pyramides d'oranges, des tas de pommes, des fromages, des confitures, des fruits confits venus des profondeurs de ses armoires, qui, sans les circonstances, n'auraient pas figuré sur la nappe.
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 13:17
Balzac, César Birotteau

" Entrez ! " cria Claparon dont la tonalité révéla la distance que sa voix avait à parcourir et le vide de cette pièce où le parfumeur entendait pétiller un bon feu, mais où le banquier n'était pas.

Cette chambre lui servait en effet de cabinet particulier. Entre la fastueuse audience de Keller et la singulière insouciance de ce prétendu grand industriel , il y avait toute la différence qui existe entre Versailles et le wigwam d' un chef de Hurons.
Le parfumeur avait vu les grandeurs de la Banque, il allait en voir les gamineries.
Couché dans une sorte de bouge oblong pratiqué derrière le cabinet, et où les habitudes d'une vie insoucieuse avaient abîmé, perdu, confondu, déchiré, huilé, ruiné tout un mobilier à peu près élégant dans sa primeur, Claparon, à l'aspect de Birotteau, s'enveloppa dans sa robe de chambre crasseuse, déposa sa pipe, et tira les rideaux du lit avec une rapidité qui fit suspecter ses moeurs par l'innocent parfumeur.
" Asseyez-vous, monsieur ", dit ce simulacre de banquier.
Claparon, sans perruque et la tête enveloppée dans un foulard mis de travers, parut d'autant plus hideux à Birotteau que la robe de chambre en s'entrouvrant laissa voir une espèce de maillot en laine blanche tricotée, rendue brune par un usage infiniment trop prolongé.
- Voulez-vous déjeuner avec moi ? dit Claparon en se rappelant le bal du parfumeur et voulant autant prendre sa revanche que lui donner le change par cette invitation .
En effet, une table ronde, débarrassée à la hâte de ses papiers, accusait une jolie compagnie en montrant un pâté, des huîtres, du vin blanc, et les vulgaires rognons sautés au vin de Champagne figés dans leur sauce.
Devant le foyer à charbon de terre, le feu dorait une omelette aux truffes. Enfin deux couverts et leurs serviettes tachées par le souper de la veille eussent éclairé l'innocence la plus pure.
En homme qui se croyait habile, Claparon insista malgré les refus de Birotteau.
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 12:30
Balzac, L'Envers de l'histoire contemporaine

 La salle à manger, entièrement peinte en gris et garnie de boiseries, dont les dessins trahissaient le goût du siècle de Louis XIV, était contiguë à cette espèce d'antichambre où se tenait Manon, et paraissait être parallèle à la chambre de Mme de La Chanterie qui communiquait sans doute avec le salon. Cette pièce n'avait pas d'autre ornement qu'un vieux cartel. Le mobilier consistait en six chaises dont le dossier de forme ovale offrait des tapisseries évidemment faites à la main par Mme de La Chanterie, en deux buffets et une table d' acajou, sur laquelle Manon ne mettait pas de nappe pour le déjeuner. Ce déjeuner, d'une frugalité monastique, se composait d'un petit turbot accompagné d'une sauce blanche, de pommes de terre, d'une salade et de quatre assiettées de fruits : des pêches, du raisin, des fraises et des amandes fraîches ; puis, pour hors-d'oeuvre, du miel dans son gâteau comme en Suisse, du beurre et des radis, des concombres et des sardines. C'était servi dans cette porcelaine fleuretée de bluets et de feuilles vertes et menues qui, sans doute, fut un grand luxe sous Louis XVI, mais que les croissantes exigences de la vie actuelle ont rendue commune.
" Nous faisons maigre, dit M. Alain. Si nous allons à la messe tous les matins, vous devez deviner que nous obéissons aveuglément à toutes les pratiques, même les plus sévères, de l' Église.
- Et vous commencerez par nous imiter ", dit Mme de La Chanterie en jetant un regard de côté sur Godefroid qu'elle avait mis près d' elle. Des cinq convives, Godefroid connaissait déjà les noms de Mme de La Chanterie, de l'abbé de Vèze et de M. Alain, mais il lui restait à savoir les noms des deux autres personnages. Ceux-là gardaient le silence en mangeant avec cette attention que les religieux paraissent prêter aux plus petits détails de leurs repas.
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 12:25
Balzac, Illusions perdues

Lucien trouva la porte ouverte par Eve, et s'assit, sans lui rien dire, à une petite table posée sur un X, sans linge, où son couvert était mis. Le pauvre petit ménage ne possédait que trois couverts d' argent, Eve les employait tous pour le frère chéri.
" Que lis-tu donc là ? " dit-elle après avoir mis sur la table un plat qu'elle retira du feu, et après avoir éteint son fourneau mobile en le couvrant de l'étouffoir.
Lucien ne répondit pas. Eve prit une petite assiette coquettement arrangée avec des feuilles de vigne, et la mit sur la table avec une jatte pleine de crème.
" Tiens, Lucien, je t'ai eu des fraises. "
Lucien prêtait tant d' attention à sa lecture qu'il n'entendit point. Eve vint alors s' asseoir près de lui, sans laisser échapper un murmure, car il entre dans le sentiment d'une soeur pour son frère un plaisir immense à être traitée sans façon.
" Mais qu' as-tu donc ? s'écria-t-elle en voyant briller des larmes dans les yeux de son frère.
- Rien, rien, Eve, dit-il en la prenant par la taille, l'attirant à lui, la baisant au front et sur les cheveux, puis sur le cou, avec une effervescence surprenante.
- Tu te caches de moi.
- Eh bien, elle m'aime !
- Je savais bien que ce n' était pas moi que tu embrassais, dit d'un ton boudeur la pauvre soeur en rougissant.
- Nous serons tous heureux, s'écria Lucien en avalant son potage à grandes cuillerées.
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 12:19
Balzac, La Peau de chagrin

Le dessert se trouva servi comme par enchantement. La table fut couverte d'un vaste surtout en bronze doré, sorti des ateliers de Thomire. De hautes figures douées par un célèbre artiste des formes convenues en Europe pour la beauté idéale, soutenaient et portaient des buissons de fraises, des ananas, des dattes fraîches, des raisins jaunes, de blondes pêches, des oranges arrivées de Sétubal par un paquebot, des grenades, des fruits de la Chine, enfin toutes les surprises du luxe, les miracles du petit-four, les délicatesses les plus friandes, les friandises les plus séductrices. Les couleurs de ces tableaux gastronomiques étaient rehaussées par l'éclat de la porcelaine, par des lignes étincelantes d'or, par les découpures des vases. Gracieuse comme les liquides franges de l'Océan, verte et légère, la mousse couronnait les paysages du Poussin, copiés à Sèvres. Le territoire d'un prince allemand n'aurait pas payé cette richesse insolente. L'argent, la nacre, l'or, les cristaux furent de nouveau prodigues sous de nouvelles formes ; mais les yeux engourdis et la verbeuse fièvre de l'ivresse permirent à peine aux convives d'avoir une intuition vague de cette féerie digne d' un conte oriental. Les vins de dessert apportèrent leurs parfums et leurs flammes, philtres puissants, vapeurs enchanteresses qui engendrent une espèce de mirage intellectuel et dont les liens puissants enchaînent les pieds, alourdissent les mains. Les pyramides de fruits furent pillées, les voix grossirent, le tumulte grandit. Il n'y eut plus alors de paroles distinctes, les verres volèrent en éclats, et des rires atroces partirent comme des fusées. Cursy saisit un cor et se mit à sonner une fanfare. Ce fut comme un signal donné par le diable. Cette assemblée en délire hurla, siffla, chanta, cria, rugit, gronda. Vous eussiez souri de voir des gens naturellement gais, devenus sombres comme les dénouements de Crébillon, ou rêveurs comme des marins en voiture. Les hommes fins disaient leurs secrets à des curieux qui n'écoutaient pas. Les mélancoliques souriaient comme des danseuses qui achèvent leurs pirouettes. Claude Vignon se dandinait à la manière des ours en cage. Des amis intimes se battaient. Les ressemblances animales inscrites sur les figures humains, et si curieusement démontrées par les physiologistes, reparaissaient vaguement dans les gestes, dans les habitudes du corps.
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 12:01
Balzac, Illusions perdues

Flicoteaux est un nom inscrit dans bien des mémoires. Il est peu d'étudiants logés au quartier Latin pendant les douze premières années de la Restauration qui n' aient fréquenté ce temple de la faim et de la misère. Le dîner, composé de trois plats, coûtait dix-huit sous, avec un carafon de vin ou une bouteille de bière, et vingt-deux sous avec une bouteille de vin. Ce qui, sans doute, a empêché cet ami de la jeunesse de faire une fortune colossale, est un article de son programme imprimé en grosses lettres dans les affiches de ses concurrents et ainsi conçu : PAIN à DISCRÉTION, c'est-à-dire jusqu' à l'indiscrétion. Bien des gloires ont eu Flicoteaux pour père nourricier. Certes le coeur de plus d'un homme célèbre doit éprouver les jouissances de mille souvenirs indicibles à l'aspect de la devanture à petits carreaux donnant sur la place de la Sorbonne et sur la rue Neuve-de-Richelieu, que Flicoteaux II ou III avait encore respectée, avant les journées de Juillet, en leur laissant ces teintes brunes, cet air ancien et respectable qui annonçait un profond dédain pour le charlatanisme des dehors, espèce d' annonce faite pour les yeux aux dépens du ventre par presque tous les restaurateurs d'aujourd'hui.
Au lieu de ces tas de gibier empaillé destinés à ne pas cuire, au lieu de ces poissons fantastiques qui justifient le mot du saltimbanque : " J' ai vu une belle carpe, je compte l'acheter dans huit jours " ; au lieu de ces primeurs, qu'il faudrait appeler postmeurs, exposées en de fallacieux étalages pour le plaisir des caporaux et de leurs payses, l'honnête Flicoteaux exposait des saladiers ornés de maint raccommodage, où des tas de pruneaux cuits réjouissaient le regard du consommateur, sûr que ce mot, trop prodigué sur d'autres affiches, dessert, n'était pas une charte. Les pains de six livres, coupés en quatre tronçons, rassuraient sur la promesse du pain à discrétion.
Tel était le luxe d'un établissement que, de son temps, Molière eût célébré, tant est drolatique l'épigramme du nom. Flicoteaux subsiste, il vivra tant que les étudiants voudront vivre.
On y mange, rien de moins, rien de plus ; mais on y mange comme on travaille, avec une activité sombre ou joyeuse, selon les caractères ou les circonstances. Cet établissement célèbre consistait alors en deux salles disposées en équerre longues, étroites et basses, éclairées l'une sur la place de la Sorbonne, l'autre sur la rue Neuve-de-Richelieu ; toutes deux meublées de tables venues de quelque réfectoire abbatial, car leur longueur a quelque chose de monastique, et les couverts y sont préparés avec les serviettes des abonnés passées dans des coulants de moiré métallique numérotés.
Flicoteaux 1er ne changeait ses nappes que tous les dimanches ; mais Flicoteaux II les a changées, dit-on, deux fois par semaine dès que la concurrence a menacé sa dynastie.
Ce restaurant est un atelier avec ses ustensiles, et non la salle de festin avec son élégance et ses plaisirs : chacun en sort promptement.
Au-dedans, les mouvements intérieurs sont rapides.
Les garçons y vont et viennent sans flâner, ils sont tous occupés, tous nécessaires.
Les mets sont peu variés. La pomme de terre y est éternelle, il n'y aurait pas une pomme de terre en Irlande, elle manquerait partout, qu' il s' en trouverait chez Flicoteaux.

Elle s'y produit depuis trente ans sous cette couleur blonde affectionnée par Titien, semée de verdure hachée, et jouit d'un privilège envié par les femmes : telle vous l'avez vue en 1814, telle vous la trouverez en 1840.
Les côtelettes de mouton, le filet de boeuf sont à la carte de cet établissement ce que les coqs de bruyère, les filets d'esturgeon sont à celle de Véry, des mets extraordinaires qui exigent la commande dès le matin.
La femelle du boeuf y domine, et son fils y foisonne sous les aspects les plus ingénieux. Quand le merlan, les maquereaux donnent sur les côtes de l'Océan, ils rebondissent chez Flicoteaux.

Là, tout est en rapport avec les vicissitudes de l'agriculture et les caprices des saisons françaises. On y apprend des choses dont ne se doutent pas les riches, les oisifs, les indifférents aux phases de la nature. L'étudiant parqué dans le quartier Latin y a la connaissance la plus exacte des Temps : il sait quand les haricots et les petits pois réussissent, quand la Halle regorge de choux, quelle salade y abonde, et si la betterave a manqué.
Une vieille calomnie, répétée au moment où Lucien y venait, consistait à attribuer l'apparition des biftecks à quelque mortalité sur les chevaux.
Peu de restaurants parisiens offrent un si beau spectacle. Là vous ne trouvez que jeunesse et foi, que misère gaiement supportée, quoique cependant les visages ardents et graves, sombres et inquiets n' y manquent pas.
Les costumes sont généralement négligés. Aussi remarque-t-on les habitués qui viennent bien mis. Chacun sait que cette tenue extraordinaire signifie : maîtresse attendue, partie de spectacle ou visite dans les sphères supérieures.
Il s'y est, dit-on, formé quelques amitiés entre plusieurs étudiants devenus plus tard célèbres, comme on le verra dans cette histoire.
Néanmoins, excepté les jeunes gens du même pays réunis au même bout de table, généralement les dîneurs ont une gravité qui se déride difficilement, peut-être à cause de la catholicité du vin qui s' oppose à toute expansion.
Ceux qui ont cultivé Flicoteaux peuvent se rappeler plusieurs personnages sombres et mystérieux, enveloppés dans les brumes de la plus froide misère, qui ont pu dîner là pendant deux ans, et disparaître sans qu' aucune lumière ait éclairé ces farfadets parisiens aux yeux des plus curieux habitués.
Les amitiés ébauchées chez Flicoteaux se scellaient dans les cafés voisins aux flammes d'un punch liquoreux, ou à la chaleur d'une demi-tasse de café bénie par un gloria quelconque.
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 11:57
Balzac, Illusions perdues

Une voix lui cria bien : " L'intelligence est le levier avec lequel on remue le monde. " Mais une autre voix lui cria que le point d' appui de l'intelligence était l' argent. Il ne voulut pas rester au milieu de ses ruines et sur le théâtre de sa défaite, il prit la route du Palais-Royal, après l' avoir demandée, car il ne connaissait pas encore la topographie de son quartier. Il entra chez Véry, commanda, pour s' initier aux plaisirs de Paris un dîner qui le consolât de son désespoir. Une bouteille de vin de Bordeaux, des huîtres d'Ostende, un poisson, une perdrix, un macaroni, des fruits furent le nec plus ultra de ses désirs. Il savoura cette petite débauche en pensant à faire preuve d'esprit ce soir auprès de la marquise d'Espard, et à racheter la mesquinerie de son bizarre accoutrement par le déploiement de ses richesses intellectuelles. Il fut tiré de ses rêves par le total de la carte qui lui enleva les cinquante francs avec lesquels il croyait aller fort loin dans Paris. Ce dîner coûtait un mois de son existence d'Angoulême. Aussi ferma-t-il respectueusement la porte de ce palais, en pensant qu' il n' y remettrait jamais les pieds.
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 11:35
Balzac, Eugénie Grandet


Malgré la baisse du prix, le sucre était toujours, aux yeux du tonnelier, la plus précieuse des denrées coloniales, il valait toujours six francs la livre, pour lui. L' obligation de le ménager, prise sous l'Empire, était devenue la plus indélébile de ses habitudes. Toutes les femmes, même la plus niaise, savent ruser pour arriver à leurs fins, Nanon abandonna la question du sucre pour obtenir la galette.
" Mademoiselle, cria-t-elle par la croisée, est-ce pas que vous voulez de la galette ?
- Non, non, répondit Eugénie.
- Allons, Nanon, dit Grandet en entendant la voix de sa fille, tiens. "
Il ouvrit la mette où était la farine, lui en donna une mesure, et ajouta quelques onces de beurre au morceau qu'il avait déjà coupé.
" Il faudra du bois pour chauffer le four, dit l'implacable Nanon.
- Eh bien , tu en prendras à ta suffisance, répondit-il mélancoliquement, mais alors tu nous feras une tarte aux fruits, et tu nous cuiras au four tout le dîner ; par ainsi, tu n' allumeras pas deux feux .
- Quien ! s' écria Nanon, vous n' avez pas besoin de me le dire. "
Grandet jeta sur son fidèle ministre un coup d' oeil presque paternel.
" Mademoiselle, cria la cuisinière, nous aurons une galette. "
Le père Grandet revint chargé de ses fruits, et en rangea une première assiettée sur la table de la cuisine.




- Si ton père s'aperçoit de quelque chose, dit Mme Grandet, il est capable de nous battre.
- Eh bien, il nous battra, nous recevrons ses coups à genoux. "
Mme Grandet leva les yeux au ciel pour toute réponse. Nanon prit sa coiffe et sortit. Eugénie donna du linge blanc, elle alla chercher quelques-unes des grappes de raisin qu'elle s'était amusée à étendre sur des cordes dans le grenier ; elle marcha légèrement le long du corridor pour ne point éveiller son cousin, et ne put s'empêcher d'écouter à sa porte la respiration qui s' échappait en temps égaux de ses lèvres.
" Le malheur veille pendant qu' il dort ", se dit-elle.
Elle prit les plus vertes feuilles de la vigne, arrangea son raisin aussi coquettement que l'aurait pu dresser un vieux chef d' office, et l'apporta triomphalement sur la table.
Elle fit main basse, dans la cuisine, sur les poires comptées par son père, et les disposa en pyramide parmi des feuilles. Elle allait, venait, trottait, sautait.
Elle aurait bien voulu mettre à sac toute la maison de son père ; mais il avait les clefs de tout. Nanon revint avec deux oeufs frais. En voyant les oeufs, Eugénie eut l'envie de lui sauter au cou.
" Le fermier de la Lande en avait dans son panier, je les lui ai demandés, et il me les a donnés pour m' être agréable, le mignon. "
Après deux heures de soins, pendant lesquelles Eugénie quitta vingt fois son ouvrage pour aller voir bouillir le café, pour aller écouter le bruit que faisait son cousin en se levant, elle réussit à préparer un déjeuner très simple, peu coûteux, mais qui dérogeait terriblement aux habitudes invétérées de la maison.
Le déjeuner de midi s'y faisait debou . Chacun prenait un peu de pain, un fruit ou du beurre, et un verre de vin.
En voyant la table placée auprès du feu, l'un des fauteuils mis devant le couvert de son cousin, en voyant les deux assiettées de fruits , le coquetier, la bouteille de vin blanc, le pain, et le sucre amoncelé dans une soucoupe, Eugénie trembla de tous ses membres en songeant seulement alors aux regards que lui lancerait son père, s' il venait à entrer en ce moment.
Aussi regardait-elle souvent la pendule, afin de calculer si son cousin pourrait déjeuner avant le retour du bonhomme.



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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 11:30
Balzac, La Recherche de l'absolu

La Flandre revivait là tout entière avec ses innovations espagnoles. Sur la table, les carafes, les flacons avaient cet air respectable que leur donnent les ventres arrondis du galbe antique. Les verres étaient bien ces vieux verres hauts sur patte qui se voient dans tous les tableaux de l'école hollandaise ou flamande. La vaisselle en grès et ornée de figures coloriées à la manière de Bernard de Palissy sortait de la fabrique anglaise de Wedgwood. L'argenterie était massive, à pans carrés, à bosses pleines, véritable argenterie de famille dont les pièces, toutes différentes de ciselure, de mode, de forme, attestaient les commencements du bien - être et les progrès de la fortune de Claës. Les serviettes avaient des franges, mode tout espagnole. Quant au linge , chacun doit penser que chez les Claës, le point d' honneur consistait à en posséder de magnifique. Ce service, cette argenterie étaient destinés à l' usage journalier de la famille . La maison de devant , où se donnaient les fêtes , avait son luxe particulier, dont les merveilles réservées pour les jours de gala leur imprimaient cette solennité qui n' existe plus quand les choses sont déconsidérées pour ainsi dire par un usage habituel. Dans le quartier de derrière, tout était marqué au coin d'une naïveté patriarcale. Enfin, détail délicieux, une vigne courait en dehors le long des fenêtres que les pampres bordaient de toutes parts.
" Vous restez fidèle aux traditions, madame, dit Pierquin en recevant une assiette de cette soupe au thym, dans laquelle les cuisinières flamandes ou hollandaises mettent de petites boules de viandes roulées et mêlées à des tranches de pain grillé, voici le potage du dimanche en usage chez nos pères ! Votre maison et celle de mon oncle Des Raquets sont les seules où l' on retrouve cette soupe historique dans les Pays-Bas.
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20 février 2004 5 20 /02 /février /2004 22:38
Les deux paradis (extrait)

[...]

Le repas recommença.
D'abord,deux soupes superbes :
Un hoche-pot au miton
Et le potage breton
Nommé de congre aux six herbes.
Puis, des hors-d'oeuvre de choix
Saucissons, concombre, anchois,
Tas de crevettes en gerbes.

Aux poissons le premier tour !
Un plat d'or : rougets autour
D'un grand homard écarlate.
Sur un plat vert, à côté,
Deux bars, un saumon truité
Qu'un hachis d'huîtres dilate,
Et, sur un plat d'argent blanc,
Trois dorades dont le flanc,
Gonflé de laitance, éclate.

Soupes, hors-d'oeuvre et poissons
Font verser aux échansons
Les vins de topaze et d'ambre,
Yquem, Xerez, Marsala,
Madère, et, par-ci par-là,
Brûlant comme du gingembre,
Un doigt de très vieux cognac
Aussi doux dans l'estomac
Que le soleil en Décembre.

Les appétits s'aiguisant
Vont s'attaquer à présent
Au bataillon des entrées :
Ragoûts cuits sur les tisons
A feu lent, cuisons-cuisons,
Roux, onctueuses purées,
Sauces courtes, lourds coulis,
Oignons s'écrasant en lits,
Daubes et galimafrées.

C'est, après un miroton,
La braisade de mouton,
La poitrine et les éclanches,
L'échine et les deux gigots,
Sur lesquels les haricots
Font de jaunes avalanches,
Cocons d'or larmés d'argent
Par les gousses d'ait nageant
En croissants de lunes blanches.

Puis, deux ténébreux civets,
Quatre canards aux navets,
Six langues a la carotte,
Des tripes « Holà ! Sifflons
D'autres vins que les vins blonds ! »
Avait dit le moine « Crotte !
Nous faut du rouge, et du frais
« De ceux qu'on lampe à longs traits,
« Non plus de ceux qu'on sirote ! »

Et pour se curer les crocs
Huvait à même les brocs,
Soufflant comme un qui déboise,
Buvait les crus sans dangers,
Les clairs Beaujolais légers,
Ou les petits vins d'Amboise,
De Chinon et de Bourgueil,
Lesquels n'ont pas d'autre orgueil
Que de fleurer la framboise.

« Maintenant, passons aux rôts ! »
Dit le moine entre deux rots.
« Mais n'omettons, je vous prie,
« Quelques légumes avec.
« Sans eux, le rôt semble sec.
« A leurs sucs il se marie.
« Et non plus n'oublions pas
« Que la fin d'un fin repas
« De salades soit fleurie. »

Et voici, sur des réchauds,
Petits pois, culs d'artichauts
En barigoule et tortue,
Choux verts, choux blancs, choux mignons,
Céleris et champignons,
Puis la barbe, la laitue,
Le chicon, le pissenlit,
Cependant, qu'on établit
Au mitan une statue,

Un veau rôti tout entier,
Au-dessus d'un bénitier
Creux comme un nombril d'ogresse
Et plein d'un jus gras fumant,
Veau devant qui, saintement,
Le moine, fou d'allégresse,
A crié : « Prosternons-nous !
« C'est le veau d'or ! A genoux !
« Alleluia pour sa graisse ! »

Sans compter que, très plaisants,
Six chapons et six faisans,
Deux côtes de boeuf sanglantes,
Trois lièvres, râbles lardés,
Trois filets de porc en dés,
Et vingt cailles succulentes,
Au bord du plat en ourtet
Egrènent leur chapelet
Pour oraisons avalantes.

Chapelet dont chaque Ave
D'une rasade est lavé,
Les grands crus entrant en ligne,
Bordelais et Bourguignons,
Rouges et chauds compagnons
Dont le vaillant moine est digne,
En buvant tant, que son nez
Semble à ses yeux étonnés
Fleurir comme un pied de vigne.

Et, tandis que tous, lassés,
Dès longtemps en ont assez,
Lui, de faim, de soif égale,
A tout rend toujours raison ;
De tout, vin, chair, venaison.
Sans faire ouf il se régale,
Disant : « Voici quarante ans,
« De Carême en Quatre-Temps,
« Que mon ventre a la fringale. »

Fruits, flans, gâteaux en décor,
Longuement il bouffe encor.
« A présent, plus qu'un hommage,
Dit-it, « et pour terminer,
Au bouquet de ce dîner,
Le venérabte fromage ! »
Il le fait, boit du Corton ;
Puis, s'essuyant le menton,
Gémit « C'est tout ? Quel dommage ! »

[...]

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