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Plume-pudding

Gastronomie

20 février 2004 5 20 /02 /février /2004 22:38
Les deux paradis (extrait)

[...]

Le repas recommença.
D'abord,deux soupes superbes :
Un hoche-pot au miton
Et le potage breton
Nommé de congre aux six herbes.
Puis, des hors-d'oeuvre de choix
Saucissons, concombre, anchois,
Tas de crevettes en gerbes.

Aux poissons le premier tour !
Un plat d'or : rougets autour
D'un grand homard écarlate.
Sur un plat vert, à côté,
Deux bars, un saumon truité
Qu'un hachis d'huîtres dilate,
Et, sur un plat d'argent blanc,
Trois dorades dont le flanc,
Gonflé de laitance, éclate.

Soupes, hors-d'oeuvre et poissons
Font verser aux échansons
Les vins de topaze et d'ambre,
Yquem, Xerez, Marsala,
Madère, et, par-ci par-là,
Brûlant comme du gingembre,
Un doigt de très vieux cognac
Aussi doux dans l'estomac
Que le soleil en Décembre.

Les appétits s'aiguisant
Vont s'attaquer à présent
Au bataillon des entrées :
Ragoûts cuits sur les tisons
A feu lent, cuisons-cuisons,
Roux, onctueuses purées,
Sauces courtes, lourds coulis,
Oignons s'écrasant en lits,
Daubes et galimafrées.

C'est, après un miroton,
La braisade de mouton,
La poitrine et les éclanches,
L'échine et les deux gigots,
Sur lesquels les haricots
Font de jaunes avalanches,
Cocons d'or larmés d'argent
Par les gousses d'ait nageant
En croissants de lunes blanches.

Puis, deux ténébreux civets,
Quatre canards aux navets,
Six langues a la carotte,
Des tripes « Holà ! Sifflons
D'autres vins que les vins blonds ! »
Avait dit le moine « Crotte !
Nous faut du rouge, et du frais
« De ceux qu'on lampe à longs traits,
« Non plus de ceux qu'on sirote ! »

Et pour se curer les crocs
Huvait à même les brocs,
Soufflant comme un qui déboise,
Buvait les crus sans dangers,
Les clairs Beaujolais légers,
Ou les petits vins d'Amboise,
De Chinon et de Bourgueil,
Lesquels n'ont pas d'autre orgueil
Que de fleurer la framboise.

« Maintenant, passons aux rôts ! »
Dit le moine entre deux rots.
« Mais n'omettons, je vous prie,
« Quelques légumes avec.
« Sans eux, le rôt semble sec.
« A leurs sucs il se marie.
« Et non plus n'oublions pas
« Que la fin d'un fin repas
« De salades soit fleurie. »

Et voici, sur des réchauds,
Petits pois, culs d'artichauts
En barigoule et tortue,
Choux verts, choux blancs, choux mignons,
Céleris et champignons,
Puis la barbe, la laitue,
Le chicon, le pissenlit,
Cependant, qu'on établit
Au mitan une statue,

Un veau rôti tout entier,
Au-dessus d'un bénitier
Creux comme un nombril d'ogresse
Et plein d'un jus gras fumant,
Veau devant qui, saintement,
Le moine, fou d'allégresse,
A crié : « Prosternons-nous !
« C'est le veau d'or ! A genoux !
« Alleluia pour sa graisse ! »

Sans compter que, très plaisants,
Six chapons et six faisans,
Deux côtes de boeuf sanglantes,
Trois lièvres, râbles lardés,
Trois filets de porc en dés,
Et vingt cailles succulentes,
Au bord du plat en ourtet
Egrènent leur chapelet
Pour oraisons avalantes.

Chapelet dont chaque Ave
D'une rasade est lavé,
Les grands crus entrant en ligne,
Bordelais et Bourguignons,
Rouges et chauds compagnons
Dont le vaillant moine est digne,
En buvant tant, que son nez
Semble à ses yeux étonnés
Fleurir comme un pied de vigne.

Et, tandis que tous, lassés,
Dès longtemps en ont assez,
Lui, de faim, de soif égale,
A tout rend toujours raison ;
De tout, vin, chair, venaison.
Sans faire ouf il se régale,
Disant : « Voici quarante ans,
« De Carême en Quatre-Temps,
« Que mon ventre a la fringale. »

Fruits, flans, gâteaux en décor,
Longuement il bouffe encor.
« A présent, plus qu'un hommage,
Dit-it, « et pour terminer,
Au bouquet de ce dîner,
Le venérabte fromage ! »
Il le fait, boit du Corton ;
Puis, s'essuyant le menton,
Gémit « C'est tout ? Quel dommage ! »

[...]

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