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Plume-pudding

Gastronomie

10 janvier 2007 3 10 /01 /janvier /2007 13:53
En un moment, ravis de déposer notre colère, et de redescendre aux terrestres régions de la bonhomie, nous fîmes tuer deux poules, casser vingt oeufs, éplucher un boisseau de pommes de terre, et hacher un oignon. Je devrais dire : Nous tuâmes deux poules, cassâmes vingt oeufs, épluchâmes un boisseau de pommes de terre, et hachâmes un oignon. Maquet, avec force larmes, hacha l'oignon ; Giraud éplucha les pommes de terres ; Boulanger cassa les oeufs ; Desbarolles fit tuer les poules, et veilla à ce qu'incontinent après leur mort elles ne fussent point plongées dans l'eau bouillante, comme c'est l'habitude en Espagne. Quant à Alexandre, on sait que ses fonctions se bornaient, une fois arrivé, à chercher l'endroit le plus convenable au sommeil, et à s'endormir immédiatement à cet endroit. Moi, je ne cherchais pas un endroit où dormir, je cherchais une table.
Après force tours et retours dans l'atrium, l'hôtesse se hasarda à me demander ce que je désirais. « Je désire une table, répondis-je. – Voici », dit-elle. Je n'avais pas vu cette table, madame, parce que Paul était assis dessus.
En Andalousie, les tables sont des tabourets un peu moins hauts que les tabourets ordinaires. L'Andalous, en l'an de grâce 1846 et en l'an de l'hégire 1262, est encore aussi Arabe qu'un Arabe. L'Andalous ne mange donc pas sur une table, mais sur un tabouret. Quand on veut manger sur ce tabouret, il faut s'asseoir à terre. Si l'on tient absolument à manger à la française, il faut s'asseoir sur le tabouret, et manger sur une chaise ou sur ses genoux.
Desbarolles eut mission de trouver trois ou quatre tables de la dimension de la première. Leur adjonction l'une à l'autre donne l'équivalent d'une banquette. Les quatre tables furent trouvées, furent adjointes, et une de nos mantes les couvrit toutes. Au bout de trois quarts d'heure, cette table improvisée se voyait surchargée de deux poules frites, d'une omelette au jambon, de pommes de terre sautées, et d'une salade. Cette salade offrait une spécialité, c'est qu'elle était faite sans huile et sans vinaigre.
Madame, si jamais vous voyagez en Espagne, où l'huile est impossible et le vinaigre nul, je vous recommande les salades sans huile et sans vinaigre. Les salades sans huile et sans vinaigre se font avec des oeufs et du citron. Or, en Espagne, il y a partout de bons oeufs et partout d'excellents citrons. C'est moi qui ai inventé cette salade, et j'espère bien lui laisser mon nom.
L'hôtesse, les poings sur les hanches, nous regardait manger avec une satisfaction qui tenait de l'étonnement. Un Espagnol est toujours étonné lorsqu'on mange devant lui. Cependant le pueblo – pardon, madame, voilà que, comme Desbarolles, je me laisse entraîner à parler castillan –, cependant le bourg voyant des tourbillons de fumée s'échapper de la cuisine, voyant passer des oeufs dans un panier, un broc de vin aux mains de la servante, entendant crier les poules que l'on égorgeait, le bourg comprit qu'un festin avait lieu à la parador San-Antonio, si bien que le bruit de ce festin se répandit jusque dans cette hôtellerie où l'on avait refusé de nous laisser laver les mains. Alors commença notre vengeance.
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